VI
LES SERVITUDES D’UN LIEUTENANT

Le lieutenant Neil Cairns leva les yeux de son bureau exigu : on frappait à la porte.

— Entrez !

Bolitho pénétra dans la chambre, la coiffure sous le bras, les traits défaits.

Cairns lui fit signe de s’asseoir ; il ne disposait du reste que d’une seule chaise, encombrée.

— Enlevez donc ces bouquins et posez-vous, jeune homme.

Il fouilla dans des monceaux de papiers, listes et notes diverses avant d’ajouter :

— En principe, on devrait arriver à trouver des verres. M’est avis que vous avez besoin de boire quelque chose. Et si quelqu’un vous conseille un jour d’accepter un embarquement de second, je vous suggère de l’envoyer au diable !

Bolitho s’assit et desserra un peu sa cravate. En cherchant bien, il y avait un léger courant d’air. Après des heures et des heures passées à arpenter New York, après cette longue traversée qui l’avait mené du port jusqu’au Trojan, il se sentait poisseux, épuisé. On l’avait envoyé à terre pour essayer de trouver des remplaçants aux hommes qui avaient été tués ou blessés à bord du Faithful, puis lorsque Sparke et ses hommes avaient péri dans l’explosion. Tout cela lui semblait un rêve à présent. Déjà trois mois, mais il avait encore beaucoup de mal à remettre de l’ordre dans ses pensées. Le temps ne l’y aidait guère : il faisait froid et sombre, la mer était forte, le brouillard apparaissait fréquemment. Désormais, ils connaissaient de longues périodes ensoleillées, sans un souffle de vent. La coque du Trojan craquait de sécheresse et le pont luisait, sonnait sous le martèlement des souliers ou des pieds nus.

Cairns l’observait sans rien dire. Oui, Bolitho avait beaucoup changé. Depuis qu’il avait regagné New York avec deux prises, c’était un autre homme : plus mûr, sans ce bel optimisme qui caractérise la jeunesse et qui le rendait si différent des autres.

Même le capitaine avait remarqué un changement : tous les événements qu’il avait vécus, la mort horrible de Sparke…

— Prenez donc de ce vin rouge, Dick, il est un peu tiède, mais c’est encore ce que j’ai de mieux à vous offrir. Je l’ai acheté à terre.

Bolitho rejeta la tête en arrière, la mèche qui cachait sa terrible cicatrice se rebellait. Malgré un séjour prolongé dans ces eaux, il était étonnamment pâle, ses yeux verts évoquaient un hiver qu’il n’avait pas connu depuis bien longtemps.

Bolitho se rendait tout à fait compte qu’il était en train de subir un examen, mais il y était habitué. S’il avait changé, le monde autour de lui en avait fait autant. Sparke mort, les officiers avaient gravi un nouvel échelon : Bolitho avait été promu troisième lieutenant, la dernière place avait été prise par l’aspirant Libby. Libby se retrouvait automatiquement sixième lieutenant, qu’il réussît ou non son examen. Du coup, la différence d’âge entre le capitaine et ses officiers était devenue vertigineuse : Bolitho aurait vingt et un ans en octobre, l’âge des plus jeunes s’étageait de vingt à dix-sept, pour Libby.

Ce système était traditionnel à bord des vaisseaux, mais Bolitho n’avait pas goûté à fond ce soudain avancement, même si les charges de ses nouvelles fonctions l’occupaient amplement et chassaient les vieux souvenirs.

— Le capitaine désire que vous l’accompagniez ce soir à bord du vaisseau amiral. L’amiral « tient sa cour » et les capitaines doivent emmener un ou deux officiers.

Il remplit les verres avant de poursuivre sans changer de ton :

— Je ne peux y aller moi-même, je suis submergé par tous ces problèmes d’avitaillement. Encore que je n’apprécie guère ces vaines conversations de salon, alors que l’univers part en morceaux.

Cette phrase était dite avec tant d’amertume que Bolitho ne put s’empêcher de lui demander :

— Vous avez des problèmes ?

Cairns eut un pauvre sourire.

— Des problèmes ? Mais je n’ai que des problèmes : je suis fatigué de cette inactivité, fatigué de faire des listes d’approvisionnement, de mendier cordages et espars, avec tous ces fraudeurs qui ne songent qu’à vous soutirer quelques pièces d’or. Qu’ils aillent au diable !

Bolitho songeait aux deux prises qu’il avait ramenées à New York. Le tribunal les avait affectées au service du roi avant même qu’on eût eu le temps de hisser leur nouveau pavillon.

Et pas un seul homme du Trojan n’avait été affecté à leur bord. Le commandement du Faithful avait été confié à un lieutenant frais arrivé d’Angleterre. C’était assez injuste, pour ne pas dire plus, et cela expliquait sans doute pour une part la rancœur de Cairns. Il aurait trente ans dans dix-huit mois, la guerre pouvait très bien se terminer et il se retrouverait sac à terre en demi-solde. Pour quelqu’un qui n’avait pas d’autre moyen de subsistance, la perspective n’était guère réjouissante.

— Peu importe, reprit Cairns en se laissant aller dans son siège, le capitaine m’a fait clairement comprendre qu’il préférait encore que ce soit vous plutôt que notre alcoolique de deuxième lieutenant !

Bolitho eut un sourire : eh oui, Probyn avait survécu à tout cela. Il faut dire qu’il avait eu de la chance, dans la mesure où, depuis l’affaire du convoi de Halifax, le Trojan n’avait pratiquement plus repris la mer : deux patrouilles de courte durée pour soutenir l’armée, une école à feu devant New York avec le navire amiral. Quelques tempêtes de plus, et les faiblesses de Probyn auraient pu lui être fatales.

— Il vaut mieux que j’aille me changer, fit Bolitho en se levant.

— Rendez-vous chez le capitaine après le quart de l’après-midi ; il prendra le canot major pour être sûr d’avoir un armement impeccable. Et je puis vous affirmer qu’il n’est pas d’humeur à supporter la moindre anicroche.

Au quatrième coup de cloche, le capitaine Pears apparut sur la dunette, resplendissant dans son uniforme de cérémonie, l’épée au côté. Les galons dorés qui se détachaient sur fond bleu marine le faisaient encore plus jeune et plus grand.

Bolitho attendait à la coupée. Il avait lui aussi endossé son plus bel uniforme et avait échangé son sabre d’abordage habituel contre une arme de meilleure facture qu’il portait accrochée à un baudrier.

Il avait déjà inspecté le canot pour s’assurer que tout était impeccable et en tout point digne d’un capitaine. Le canot était magnifique, avec sa coque rouge foncé et son pavois blanc. Il dansait joliment au flanc du Trojan, avirons matés en deux lignes impeccables. L’armement portait des chemises à carreaux rouge et blanc, et les hommes étaient coiffés du haut chapeau noir. Le canot était digne d’un empereur.

Cairns arriva en hâte et vint dire quelques mots à l’oreille du capitaine. Le commis, Molesworth, attendait près de l’artimon. Cairns avait sans doute l’intention de descendre à terre en sa compagnie pour régler certains problèmes avec des fournisseurs qui plaçaient leur intérêt personnel bien au-dessus de toute espèce de patriotisme.

— Fusiliers, ordonna le capitaine D’Esterre, présentez… armes !

Baïonnette au canon, les grands mousquets se dressèrent d’un geste, manquant presque perforer le taud qui abritait le pont. Oubliant momentanément Pears, Bolitho revoyait les fusiliers qui avaient fait preuve de la même précision à bord du Faithful lorsqu’il s’était agi de tailler en pièces leurs assaillants.

Pears prit un air étonné en voyant Bolitho, comme s’il le découvrait pour la première fois de sa vie.

— Ah, c’est vous !

Il examinait avec le plus grand soin le chapeau, les parements, la vareuse fraîchement repassée.

— Ce n’est pas possible, j’ai cru un moment que j’avais un nouvel officier !

— Je vous remercie, monsieur, répondit Bolitho dans un grand sourire.

— Allons-y.

Bolitho descendit dans le canot où les attendait Hogg. Au garde-à-vous, le chapeau à la main, le cuisinier faisait penser à un employé des pompes funèbres.

Trilles de sifflets, puis le canot qui roulait : Pears venait prendre place dans la chambre.

— Poussez ! Sortez !

Hogg sentait peser sur lui le regard du capitaine, sans parler de toutes les lunettes braquées des bâtiments à proximité.

— Avant partout !

Bolitho était assis, raide comme un piquet, son sabre entre les jambes. Il n’arrivait jamais à se détendre en présence du capitaine. Pour se donner une contenance, il se concentra donc sur le Trojan qui les dominait de ses courbes : le grand pavillon rouge qui flottait paresseusement à la poupe, les dorures, les cuivres astiqués.

Tous les sabords étaient grands ouverts pour faire entrer un maximum d’air frais. Comme des bêtes au repos, aussi astiquées que les boutons argentés de D’Esterre, les grosses pièces montraient leurs gueules noires.

Bolitho se détourna pour observer Pears de profil. Les nouvelles de la guerre n’étaient pas fameuses : au mieux, c’était l’enlisement, et leurs pertes devenaient préoccupantes. Cela dit, et quelque opinion qu’il eût sur la question, Pears n’était pas le genre de commandant à tolérer le moindre relâchement à son bord.

Voiles ferlées, vergues brassées, le spectacle du Trojan qui étincelait dans toute sa splendeur avait tout de même de quoi remonter le moral.

— Avez-vous des nouvelles de votre père ? lui demanda soudain Pears.

— Pas de nouvelles récentes, monsieur : mon père n’a pas la plume facile.

Pears le fixait droit dans les yeux.

— J’ai été triste en apprenant la mort de votre mère. Je ne l’avais rencontrée qu’une seule fois, à Weymouth, je pense que vous étiez à la mer. Votre mère était une femme charmante, et je prends un coup de vieux chaque fois que je pense à elle.

Bolitho détourna les yeux : c’était là encore une autre facette du capitaine. Si le Trojan devait combattre, un vrai combat, contre des bâtiments de sa force, que feraient les officiers ? Pears se jetterait à fond dans la bataille, Probyn était chaque jour plus sombre et difficile à vivre. Dalyell ? Sympathique, mais pas à la hauteur de son rôle de quatrième. Et ce malheureux Quinn, que sa blessure faisait perpétuellement souffrir et à qui l’on avait confié des tâches pas trop dures, sous la surveillance attentive du chirurgien. Il y avait enfin Libby, autant dire un gamin déguisé en lieutenant. Avec cela, Pears avait vraiment de quoi se faire du souci : son bâtiment ressemblait davantage à une école qu’à autre chose.

— Combien d’hommes avez-vous ramassés ?

Manifestement, ce Pears était au courant de tout, même de sa petite virée du jour.

— Quatre, monsieur.

Ce n’était pas brillant, mais être obligé de l’avouer à haute voix était encore pire.

— Hmm, je vois. Nous aurons peut-être plus de chance à l’arrivée du prochain convoi.

Pears se tortillait sur son coussin rouge.

— Quelle bande de coquins, des marins de grande valeur, protégés par la Compagnie des Indes ou par un âne au gouvernement ! C’est invraisemblable, je vais finir par croire que c’est un crime que de se battre pour son pays ! Mais croyez-moi, je finirai bien par en trouver, qu’ils soient exemptés ou pas ! – il eut un petit rire : Et le temps que ça vienne aux oreilles de Leurs Seigneuries, je vous les aurai transformés en marins du roi !

Bolitho se retourna : le navire amiral émergeait de derrière un autre bâtiment de guerre au mouillage.

Il s’agissait du Resolute, vaisseau de second rang, quatre-vingt-dix canons, vieux de vingt-cinq ans. De nombreux canots étaient amarrés aux tangons, il devait y avoir du monde. La marque de l’amiral flottait à la vergue d’artimon, et Bolitho se demandait à quoi pouvait bien ressembler leur hôte. Le contre-amiral Graham Coutts, commandant l’escadre, avait le Trojan sous ses ordres depuis leur arrivée à New York, mais Bolitho ne l’avait encore jamais vu. Il se l’imaginait comme une sorte de Pears, indestructible, un vrai roc.

Mais son côté professionnel reprit le dessus, et il se concentra sur le cérémonial qui les attendait : les fusiliers à la coupée, l’éclat de l’acier, le mélange de blanc et de bleu, les ordres encore affaiblis par la distance.

Pears n’avait pas bougé, mais Bolitho nota qu’il ouvrait et refermait la main autour de la poignée gainée de peau de requin de son sabre. C’était la première fois qu’il le voyait un peu agité.

Ce sabre était vraiment magnifique et avait dû coûter une petite fortune. Sans doute une arme d’honneur que Pears avait reçue en récompense de quelque haut fait ou d’un acte de courage, ou même, plus probablement, pour une victoire remportée sur un ennemi de l’Angleterre.

— Parés à rentrer !

Hogg se tenait sur la pointe des pieds, ses doigts caressaient à peine la barre tandis qu’il fignolait l’approche finale.

— Mâtez !

Les avirons se levèrent avec un bel ensemble pour former deux rangées impeccablement alignées. L’eau des pelles ruisselait sur les genoux des hommes.

Pears manifesta sa satisfaction devant l’armement avant d’escalader lentement la muraille, puis salua tandis que retentissaient les coups de sifflet prévus pour l’arrivée à bord d’un capitaine.

Bolitho attendit quelques secondes avant de le suivre. Il fut accueilli par un lieutenant au nez aquilin, la lunette sous le bras, qui l’examina comme s’il venait de la lune.

— Vous êtes attendu à l’arrière, monsieur, fit-il en désignant la poupe où se trouvait déjà Pears, en compagnie du capitaine du Resolute, pressé de trouver un peu d’ombre.

Bolitho s’arrêta cependant un instant afin d’examiner la dunette, copie conforme de celle du Trojan : les rangées de canons saisis dans leurs bragues, les palans impeccablement tournés sur les taquets, les glènes lovées sur un pont blanc comme la neige. Des marins vaquaient à leurs occupations, un aspirant observait à la lunette un brick qui ralliait le mouillage. Il bougeait les lèvres en silence pour déchiffrer les pavillons qui permettraient d’identifier le navire et de connaître le nom du capitaine.

Plus bas, sur le pont principal, un marin et un caporal de fusiliers attendaient qu’un aspirant eût terminé la conversation animée qu’il avait avec un lieutenant. Crime ? Punition ? Promotion, qui sait ? Cette scène si familière pouvait signifier à peu près n’importe quoi.

En somme, tout était comme à bord du Trojan, et pourtant si différent… Bolitho descendit lentement sous la dunette où l’on entendait de la musique, des hommes et des femmes qui riaient. Toutes les toiles de cloisons avaient été démontées et la chambre de l’amiral avait été mise en communication avec celle du capitaine. Les fenêtres de poupe étaient ouvertes, un groupe de violonistes jouaient avec application sur le balcon. Des serviteurs en livrée rouge s’empressaient avec des plateaux chargés de verres au milieu de la foule d’officiers de marine et de fonctionnaires. Plusieurs femmes étaient même présentes. Derrière un long buffet, d’autres domestiques refaisaient le plein sans discontinuer.

Pears avait disparu. Bolitho salua plusieurs lieutenants qui étaient venus tout comme lui jouer les bouche-trous. Il reconnut Lamb, capitaine de pavillon : un homme grand, au regard calme, sévère au premier abord, dur même. Mais, lorsqu’il souriait, tout changeait.

— Mr. Bolitho, je crois ? – il lui tendit la main : Bienvenue à bord. J’ai entendu parler de vos exploits du mois de mars, et je souhaitais vivement faire votre connaissance. Nous avons bien besoin d’hommes de votre trempe, qui savent ce que c’est que la guerre. Les temps sont difficiles, mais c’est aussi une chance pour des jeunes gens comme vous. N’hésitez pas à la saisir dès qu’elle se présentera. Croyez-moi, Bolitho, elle se présente rarement deux fois de suite.

Bolitho songeait à la goélette, si jolie, et même à ce lourdaud de Thrush : sa chance s’était présentée, mais elle s’était malheureusement enfuie.

— Venez, je vais vous présenter à l’amiral. Il ne va pas vous manger ! ajouta-t-il en riant, voyant la tête que faisait Bolitho.

Il n’était pas facile de se déplacer dans cette foule : des figures rougeaudes, de grosses voix, difficile de croire que la guerre faisait rage si près. Ils arrivèrent près d’un gros homme en uniforme, au col chargé de parements dorés. Bolitho se sentit soudain déçu.

Mais le capitaine de pavillon poussa le gros homme et il découvrit un officier assez maigre qui lui arrivait à peine à l’épaule.

Le contre-amiral Graham Coutts faisait plus penser à un lieutenant de vaisseau qu’à un officier général : une chevelure châtaine, soigneusement coiffée, un visage très jeune, sans ces rides sévères que Bolitho avait toujours vues chez ce genre de personnage.

L’amiral lui tendit la main :

— Bolitho, n'est-ce pas ? Très bien. Je suis fier de vous connaître, continua-t-il en lui faisant un large sourire. Apportez-nous à boire, commanda-t-il à un serviteur, puis : Je connais par cœur vos états de service, et je crois que, si vous aviez conduit vous-même la dernière attaque, vous auriez même réussi à reprendre ce brick ! (Sourire.) Mais peu importe, cela montre ce que l’on arrive à faire avec de la volonté.

Un homme élégamment vêtu s’écartait d’un groupe animé près du balcon, et l’amiral dit tranquillement :

— Vous voyez cet homme, Bolitho ? Il s’agit de Sir George Helpman, il arrive de Londres – il tordit sa lèvre –, un « expert » des ennuis que nous connaissons ici. C’est quelqu’un d’important, dont les avis sont toujours très écoutés.

Mais il reprit vite son ton d’amiral :

— Je dois vous laisser, Bolitho, amusez-vous. Je crois que le buffet est à peu près convenable.

Et Bolitho le vit saluer l’homme qui venait de Londres. Il avait nettement l’impression que l’amiral ne l’aimait guère. Ce qu’il lui en avait dit sonnait comme un avertissement, encore qu’on ne vît pas très bien ce qu’un officier subalterne pouvait avoir à faire de ce genre de considérations.

Oui, Coutts était totalement différent de ce qu’il avait imaginé. Cela le gênait presque, mais il se sentait maintenant de l’admiration pour lui, un curieux sentiment de loyauté envers cet homme qu’il n’avait vu qu’un instant. Impossible de le nier.

Le soir tombait lorsque les invités commencèrent à prendre congé. Certains étaient tellement soûls qu’il fallut les porter jusqu’aux canots, d’autres luttaient tant bien que mal dans les échelles en essayant de garder un semblant de dignité.

Bolitho attendait sur la dunette, observant d’un œil curieux les civils, les officiels, les femmes et divers officiers que l’on descendait au palan dans les embarcations.

Il était passé devant une chambre, sans doute celle de l’aide de camp de Coutts. La porte était légèrement entrouverte, et Bolitho avait eu le temps d’apercevoir une femme nue jusqu’à la taille. Les bras autour du cou de l’officier qui était occupé à la déshabiller comme un fou, elle riait en poussant de petits cris de plaisir.

Son mari ou son cavalier est probablement allongé dans l’un des canots, se dit Bolitho, mais il ne put s’empêcher de sourire, sans trop savoir s’il était choqué ou envieux.

Il fut sorti de sa rêverie par un quartier-maître bosco qui l’appelait :

— Vot’cap’taine arrive, m’sieur !

Il ajusta son ceinturon et remit en place sa coiffure :

— Bien, appelez le canot.

Pears arrivait avec le capitaine Lamb : les deux hommes se serrèrent la main et le capitaine descendit la coupée derrière Bolitho.

Le canot poussa. Pears dit négligemment :

— C’est assez pitoyable, vous ne trouvez pas ?

Et il ne prononça plus un seul mot. Alors qu’ils approchaient des sabords éclairés du Trojan, il ajouta :

— Si c’est là ce qu’on appelle la diplomatie, je préfère de loin être marin !

Bolitho attendit debout près du cuistot. Pears glissa sur une marche et il eut l’impression de l’entendre jurer. Cela le rendait soudain plus humain. Le capitaine l’appela :

— Ne restez pas planté là comme le célébrant, monsieur Bolitho. Je rêve, les autres ont de quoi s’occuper si vous, vous n’avez rien à faire !

Bolitho fit un sourire à Hogg : voilà qui ressemblait davantage au capitaine.

 

Parmi les nombreuses corvées confiées aux lieutenants figurait le tour d’officier de garde, tâche peu gratifiante s’il en fut. À New York, pour faciliter le travail des autorités à terre, les différents bâtiments présents au port devaient donc fournir à tour de rôle un officier qui prenait la garde pour vingt-quatre heures. Sa mission consistait à surveiller les embarcations qui faisaient la navette, à détecter la présence d’éventuels agents de l’ennemi susceptibles de rôder à la recherche d’informations confidentielles. Il était en outre chargé d’empêcher de déserter les marins tentés par les plaisirs variés qu’offrait la terre.

Les matelots envoyés à terre pour y effectuer divers travaux tombaient souvent dans des amusements douteux, et il fallait placer sous bonne garde les ivrognes qui attendaient leur retour à bord, agrémenté de quelques coups de fouet pour faire bonne mesure.

Deux jours après la soirée chez l’amiral, le troisième lieutenant du Trojan se retrouva donc de garde et alla se mettre à la disposition du major général. Bolitho se sentait mal à l’aise à New York. La ville attendait confusément on ne sait quoi, des réfugiés arrivaient de l’intérieur, d’autres faisaient le siège de l’administration à la recherche de parents disparus au cours des combats. Quelques-uns venaient là pour essayer de s’embarquer à destination de l’Angleterre ou du Canada. D’autres attendaient, à l’affût de quelque récompense qu’ils pourraient soutirer aux vainqueurs, quels qu’il fussent. La nuit, New York devenait une ville dangereuse, en particulier dans les quartiers du port bourrés de monde, avec leurs tavernes, leurs bordels, leurs salles de jeux. On y trouvait de tout, pour peu que l’on pût payer.

Suivi de quelques marins armés en file indienne, Bolitho remontait lentement une rue bordée de maisons en bois. Les hommes rasaient soigneusement les murs pour éviter de recevoir, accidentellement ou non, quelque paquet d’ordures sur la tête.

Stockdale était derrière lui, il entendait le cliquetis habituel des armes et des équipements. Ils se dirigèrent vers la grande jetée ; il y avait peu de monde, mais on distinguait de la musique, des chansons paillardes ou des injures derrière les rangées de volets clos.

Une maison isolée se dressait au bord de l’eau. Un sergent de fusiliers faisait les cent pas, deux sentinelles étaient de faction.

— Halte, qui va là ?

— Officier de garde !

— Avance au ralliement !

Le sergent se contentait d’appliquer strictement la consigne, alors que les fusiliers connaissaient de vue pratiquement tous les officiers de l’escadre.

Il se figea au garde-à-vous.

— J’ai deux hommes du Vanquisher, monsieur, sont raides bourrés.

Bolitho entra, passa deux portes avant de pénétrer dans un vaste hall. La maison avait dû être belle dans le temps : sans doute la demeure d’un négociant de thé. Elle avait été réquisitionnée par la marine.

— Ils ont l’air plutôt calmes.

Le sergent eut un sourire sans joie.

— Ah, çà, m’sieur, maintenant i’sont calmes ! Mais, ajouta-t-il en montrant les deux formes inertes à qui il avait passé les fers, l’a fallu les aider un brin.

Bolitho alla s’asseoir devant un bureau couvert de graffiti. Dehors, on entendait des bruits divers, le grincement des roues sur les pavés, des putains en train de criailler.

Il consulta la pendule : minuit passé, encore quatre heures à tirer. Il se prenait à rêver du Trojan, alors que la veille encore, il ne rêvait que d’échapper à la routine de la vie du bord.

Lorsque l’escadre était arrivée à Staten Island, quelqu’un l’avait comparée à une espèce de Londres sur l’eau et, depuis, la comparaison n’était devenue que trop exacte. Bolitho avait aperçu deux lieutenants de l’une des frégates qui se rendaient dans une maison de jeu. Il les connaissait de vue, sans plus. Mais il avait eu le temps de saisir des bribes de conversation : appareiller pour Antigua à la prochaine marée, pour porter des dépêches. Voilà qui s’appelait être libre, loin de ce ramassis de bâtiments inoccupés.

Le sergent réapparut et le regarda d’un air perplexe.

— J’ai rencontré un indic dehors, monsieur, un drôle de loustic que je connais depuis belle lurette, mais on peut lui faire confiance. I’m’dit qu’il y a dans le coin quelques gaillards d’un brick, le Diamond. Ils ont déserté juste avant qu’il appareille, v’là trois jours de ça.

Bolitho se leva d’un bond et attrapa son sabre.

— Quel brick ?

— Vous faites pas de mouron, m’sieur, fit le sergent avec un large sourire, une malheureuse cargaison qu’il apportait d’Angleterre.

Un brick qui venait du pays, donc des marins entraînés, déserteurs ou pas.

— Faites entrer ce… euh, votre indicateur.

L’homme avait la tête de l’emploi : court sur pattes, graisseux, fuyant, comme on en trouve dans chaque port, de ces taupes qui vendent des tuyaux aux officiers des détachements de presse.

— Eh bien ?

— Je ne fais que mon devoir, monsieur, déclara l’homme d’une voix mielleuse, j’aide la marine du roi.

Bolitho le regardait d’un œil glacial. L’homme avait conservé l’accent des faubourgs de Londres.

— Combien sont-ils ?

— Il y en a six, monsieur, et de solides gaillards.

— Ils sont chez Lucy, glissa négligemment le sergent, une gonzesse tout ce qu’il y a de vérolée, jamais vu ça.

— Dites à mes hommes d’entrer, sergent.

Bolitho aimait mieux ne pas penser que cette expédition allait le mettre en retard et l’empêcher de se coucher.

— On pourrait tomber de suite d’accord sur un prix, monsieur, essaya prudemment l’indic.

— Pas question. Vous allez m’attendre ici, et si je trouve les hommes, vous serez payé. Sinon… – il fit un clin d’œil aux fusiliers qui se tordaient de rire : Sinon, vous serez fouetté.

Et il sortit. Il détestait cet indic, ces méthodes odieuses qu’il fallait bien utiliser pour compléter les équipages. Malgré les duretés de la vie à bord, les volontaires ne manquaient pas, et il n’y en avait pourtant jamais assez. Il y avait tant d’occasions de se faire tuer ou blesser…

— Où allons-nous, monsieur ? lui demanda Stockdale.

— Chez une certaine Lucy.

Ce nom arracha un rire à l’un des matelots :

— J’connais, monsieur, j’suis déjà allé y faire un tour.

— Alors, montrez-nous le chemin, grommela Bolitho, on y va.

C’était une venelle en pente qui puait de façon épouvantable.

Bolitho divisa sa troupe en deux groupes. La plupart de ses hommes s’étaient livrés à ce genre d’opérations un nombre incalculable de fois : même après avoir été victime de la presse lui-même, mais une fois bien installé dans sa nouvelle vie, le marin était prêt à en faire subir autant à d’autres pour le compte de la marine. Si cela m’est arrivé à moi, il n’y a pas de raison que cela n’arrive pas à d’autres, voilà quel était tout leur raisonnement.

Stockdale avait disparu derrière le bâtiment. Il avait remis à la ceinture son gigantesque coutelas et portait à la main un énorme gourdin, un vrai jambon.

Bolitho attendit encore quelques instants, se forçant à respirer profondément. Il avait les yeux rivés sur la porte derrière laquelle on entendait quelqu’un haleter comme un chien malade. Tout ce beau monde était probablement endormi, en admettant qu’ils fussent bien là.

Il dégaina son sabre et donna plusieurs coups de pommeau contre le battant, en criant :

— Au nom du roi, ouvrez !

La réponse ne tarda guère : des jurons, des cris, un bruit de verre cassé suivi d’un choc sourd. Un homme était probablement tombé sous la patte de Stockdale en tentant de s’échapper.

La porte s’ouvrit à la volée mais, au lieu de la masse d’hommes qu’il attendait, Bolitho se retrouva face à face avec une espèce de géante qu’il devina être la fameuse Lucy. Elle était aussi grande et large qu’un marin, métier dont elle maîtrisait d’ailleurs à fond la langue. Elle vociférait, criait au scandale, essayait de lui envoyer son poing dans la figure.

Des lanternes s’allumaient un peu partout, et les voisins passaient prudemment la tête à la fenêtre pour savourer le spectacle : Lucy mettant la marine en déroute.

— Non, mais visez moi ça, sale petit vérolé ! fit la mégère campée en face de Bolitho les poings sur les hanches. Et ça s’permet de m’accuser d’planquer des déserteurs chez moi !

D’autres femmes outrageusement maquillées, dont quelques-unes à moitié nues, descendaient quatre à quatre l’escalier étroit pour venir voir ce qui se passait.

— Je fais mon devoir, répondit Bolitho en essayant de garder son calme.

Mais cette vieille le dégoûtait, elle l’avait en outre humilié.

Stockdale surgit derrière elle, le visage de marbre.

— J’ai les six, monsieur, c’est comme il avait dit.

Il avait dû trouver le moyen de passer par derrière.

— Bien joué, et pendant que nous y sommes, nous allons jeter un coup d’œil à ces citoyens un peu plus innocents.

Il sentait la moutarde lui monter au nez. La femme se rua sur lui, attrapa ses revers et lui cracha à la figure.

Bolitho eut juste le temps de voir deux jambes nues qui se débattaient. Stockdale l’avait saisie à bras-le-corps et entreprit de descendre le paquet hurlant dans la rue. Arrivé là, il lui plongea la tête dans un abreuvoir et l’y laissa tremper plusieurs secondes.

Après l’avoir relâchée et tandis qu’elle essayait désespérément de reprendre sa respiration, il lui dit simplement :

— Recommence à causer comm’ça à mon lieutenant, ma jolie, et je t’balance mon gros couteau dans ton gésier, si tu vois c’que j’veux dire.

Et il se tourna vers Bolitho :

— Je crois que ça ira mieux, monsieur.

Bolitho était encore haletant, il n’avait jamais vu Stockdale dans cet état.

— Euh, merci.

Ses hommes se tordaient de rire, il fallait reprendre la situation en main.

— Fouillez-moi la maison !

Les six déserteurs passèrent à côté de lui, l’un d’eux se tenait la tête.

— Foutez donc le camp, espèce de vermine ! cria une voix de l’autre côté de la rue.

Bolitho pénétra dans la pièce qui ressemblait plus à une prison qu’à un lieu de plaisir : des chaises hors d’usage, des vêtements déchirés, des bouteilles vides.

Ils découvrirent deux hommes de mieux. Le premier était pêcheur de homards, le second clamait qu’il n’était pas marin. Bolitho examina les tatouages qu’il portait sur le bras et lui dit calmement :

— Je te suggère de tenir ta langue. Si, comme je crois, tu viens d’un vaisseau du roi, tu ferais mieux de te taire.

L’homme devint tout pâle malgré son teint hâlé : il connaissait visiblement la musique.

Un marin descendait les escaliers.

— Y en a pas d’autres, monsieur, sauf ce petit jeune homme.

Bolitho vit le garçon que l’on poussait au milieu des filles. Le gibier ne paraissait pas très intéressant, sans doute un fils de famille qui venait faire sa première expérience dans ce lieu assez douteux.

— Très bien, rappelez les autres.

Il examina l’individu : il avait une carrure plutôt étroite et baissait les yeux en essayant visiblement de rester dans la pénombre.

— Ce n’est pas un endroit très convenable pour vous, jeune homme. Partez avant que quelque chose de plus grave ne vous arrive. Où habitez-vous ?

Mais il restait obstinément muet. Bolitho le prit par le menton et l’obligea à lever la tête, qui se trouva exposée à la pleine lumière d’une lanterne. Il était visiblement terrorisé et resta ainsi une éternité. Dehors, on entendait sur les pavés les marins qui rassemblaient les nouvelles recrues, puis il y eut des ordres un peu plus loin. C’était une patrouille de l’année qui arrivait au bout de la rue.

Et là, les événements se précipitèrent. La mince silhouette se dégagea et le garçon avait franchi la porte avant que personne eût eu le temps de faire un geste.

— Arrêtez cet homme ! cria un marin.

Puis les soldats crièrent à leur tour.

Bolitho se rua dehors.

— Non, attendez !

Mais il était trop tard, un coup de mousquet assourdissant retentit dans la ruelle.

Bolitho écarta ses hommes et s’approcha du corps étendu par terre qu’un caporal d’infanterie retournait sur le dos.

— On a cru qu’il essayait de vous échapper, monsieur !

Bolitho se baissa pour déboutonner la veste et la chemise du jeune homme. La peau était encore brûlante, une peau douce, douce comme son menton. Du sang coulait lentement.

Il passa la main sur la poitrine : le cœur était arrêté. Deux yeux vides le fixaient dans l’ombre, d’un regard accusateur.

Il se leva soudain, malade de dégoût :

— C’est une femme.

Et il se détourna.

— Amenez-moi cette femme, ordonna-t-il en parlant de Lucy.

Lucy s’approcha et se tordit les mains de désespoir en découvrant le cadavre, toute insolence subitement enfuie. Elle était terrorisée.

— Qui était-ce ? lui demanda-t-il.

Il était étonné par le son de sa voix, calme, sans aucune trace d’émotion.

— Je ne vous poserai pas la question deux fois.

On entendit un brouhaha au bout de la rue et deux cavaliers firent leur apparition.

— Mais que se passe-t-il par ici ? aboya l’un des deux hommes.

Bolitho le salua :

— Officier de garde, monsieur.

C’était un major d’infanterie, vêtu du même uniforme que l’homme qui avait tiré le coup de feu.

— Ah, je vois, très bien !

Le major descendit de cheval et se pencha sur le corps.

— Approchez-moi une lanterne, caporal !

Il mit la main sous la tête de la jeune fille et la tourna lentement vers la lumière.

Bolitho la fixait, incapable de détourner le regard des yeux vides.

Le major se releva et dit calmement :

— Jolie prise, lieutenant – il se frottait pensivement le menton : Il faut que j’aille prévenir le gouverneur, je ne suis pas sûr qu’il prenne la chose du bon côté.

— Mais de quoi s’agit-il, monsieur ?

Le major hocha la tête.

— Autant que vous ne sachiez rien, comme cela vous ne risquez rien.

Puis, reprenant son ton le plus professionnel, il ordonna au second cavalier :

— Caporal Fisher ! Allez au poste réveiller l’adjudant et dites-lui de rappliquer avec une escouade.

Il attendit que l’homme fût parti au grand galop avant de montrer Lucy de sa main gantée de blanc :

— Fermez cette maison de malheur et placez-la sous bonne garde. Quant à vous, vous êtes en état d’arrestation !

La femme manqua s’évanouir. Elle le suppliait :

— Mais pourquoi moi, monsieur, qu’est-ce que j’ai donc fait ?

Le major s’écarta tandis que deux soldats s’emparaient d’elle :

— Je vous accuse de trahison, madame ! Voilà ce que vous avez fait !

Redevenu plus calme, il se tourna vers Bolitho :

— Je vous suggère de retourner à vos occupations, monsieur. Mais croyez-moi, vous entendrez parler de cette affaire – et, souriant soudain, de manière assez inattendue : Si cela peut vous consoler, vous avez découvert quelque chose de très important. Trop de gens sont tombés dans la trahison. Au moins, celle-ci ne trahira plus jamais.

Bolitho se dirigea vers le front de mer en silence. Le major avait visiblement identifié la morte. À voir la finesse de ses attaches, la douceur de sa peau, elle appartenait certainement à une grande famille.

Il essaya d’imaginer ce qui avait bien pu se tramer là avant l’irruption de sa patrouille. Il ne revoyait qu’une seule chose, ses yeux, ce regard qu’elle avait eu lorsqu’ils avaient tous deux compris la vérité.

 

En vaillant équipage
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